Comment déconstruire les stéréotypes de genre en entreprise ? Décryptage par Patrick Scharnitzky, Directeur associé de AlterNego
Psychosociologue de formation, Patrick Scharnitzky est docteur de psychologie sociale, spécialisé sur le sujet des stéréotypes. Après avoir enseigné pendant 15 ans au sein d’une école de commerce, il rejoint le cabinet AlterNego en tant que Directeur associé. Il copilote les activités « Diversité et Inclusion » pour accompagner les entreprises, et déconstruire les stéréotypes et les biais inconscients. Rencontre.
Quand et pourquoi vous êtes-vous intéressé au sujet de l’inclusion en entreprise et de l’impact des stéréotypes dans la vie professionnelle ?
Je travaille depuis toujours sur ces sujets, et particulièrement depuis que j’ai fait mon doctorat sur le sujet des stéréotypes. À l’époque, on ne parlait pas d’inclusion – ce mot n’existait pas – mais de discriminations. Après avoir rejoint AlterNego, on a commencé à me proposer des conférences, des formations… et progressivement, j’ai découvert à quel point l’entreprise était un écosystème dans lequel la diversité était réellement incarnée. C’est un écosystème dans lequel tous les acteurs et actrices sont interdépendants (contrairement à la vraie vie, où on évolue plutôt dans des silos qui se mélangent finalement assez peu) : cette codépendance dans le travail fait qu’on ne peut pas faire l’un sans l’autre ! Je me suis alors intéressé plus particulièrement à ce terrain, pour à la fois expérimenter et insuffler une forme de diversité qu’on pourrait retrouver dans le monde extérieur. L’entreprise est devenue pour moi un terrain de jeu extrêmement intéressant pour développer des modèles et accompagner tous ses acteurs.
Nous le savons, nous avons toutes et tous des stéréotypes et des biais inconscients. Mais comment les faire comprendre à toute une entreprise, et plus particulièrement au sein des équipes de management et de recrutement ?
Il est intéressant de travailler sur la catégorie de la population qui a des stéréotypes malgré elle. La société et la culture nous disent que l’on est déviant si on a des stéréotypes, mais ces derniers sont tellement intégrés depuis notre naissance qu’il est nécessaire d’entamer un processus de déconstruction.
Comment mettre en place ce processus de déconstruction ?
Il faut donc d’abord que chacune et chacun prenne conscience avec humilité qu’ils et elles ont des stéréotypes, pour ensuite mettre des pare-feu en place pour ne pas les utiliser.
Mais c’est un travail de fond, car dès la naissance les parents conditionnent le rapport à l’enfant à travers des croyances et des stéréotypes. Ce conditionnement est tellement précoce que cette binarité anatomique femme/homme peut très vite se retrouver dans une binarité de genre : c’est-à-dire le fait de créer un terrain propice pour enfermer les petites filles dans un modèle dit « féminin » et les petits garçons dans un modèle dit « masculin ». C’est cette simplification extrême qui alimente le risque d’avoir des stéréotypes de genre.
Il est donc absolument nécessaire aujourd’hui de travailler sur la question des stéréotypes, car si tous les stéréotypes ne mènent pas à la discrimination, il n’y a pas de discrimination sans stéréotypes. L’objectif final est de bien vivre ensemble, et pour se faire, il faut créer un environnement dans lequel les gens sont heureux (et donc ni harcelés, ni discriminés, stigmatisés ou exclus).
Comment donner envie à des talents féminins de rejoindre des métiers et des secteurs encore très « masculins », tel que celui de la construction ?
Pour attirer les femmes vers des métiers dits « masculins », il n’y a pas une solution unique mais des actions à mener sur tous les fronts. D’abord, il y a un travail de déconstruction à mener, par rapport aux stéréotypes que les femmes peuvent avoir sur le secteur et l’environnement de travail. Par exemple, en mettant en scène des rôles modèles de femmes qui ont fait carrière, pour montrer que c’est possible !
Ensuite, il faut mener une action RH sur l’équité de traitement, afin de montrer que l’entreprise n’est ni sexiste, ni discriminatoire. Il s’agit ici de former les managers, et accompagner tous les acteurs pour lutter contre toutes les formes de sexisme et de discrimination. La question salariale est ici très importante : si l’entreprise souhaite attirer autant de femmes que d’hommes, il faut qu’elle travaille en interne sur l’équité de traitement pour que les postes proposés soient attractifs pour toutes et tous.
Il est également nécessaire d’avoir une marque employeur attractive, et donc de travailler sur la communication de l’entreprise. Cela peut paraître anodin, mais ça ne l’est pas ! Travailler sur les visuels, les contenus, etc. est une étape importante du processus pour renvoyer à l’extérieur l’image d’une entreprise moins genrée, moins masculine et plus ouverte.
Enfin, il faut en faire la promotion en interne : une loi a été votée le 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, pour plus de mixité dans les instances de direction. Cette forme de discrimination positive demandée par la loi est une façon de faire bouger les lignes d’un système bien ancré, pour que cette égalité femme-homme puisse se mettre en place, créer des rôles modèles et devenir inspirante.
Il est donc absolument nécessaire aujourd’hui de travailler sur la question des stéréotypes, car si tous les stéréotypes ne mènent pas à la discrimination, il n’y a pas de discrimination sans stéréotypes.
Selon-vous, comment peut-on créer des organisations toujours plus inclusives et ouvertes à la diversité des genres ?
En premier lieu, il y a un travail en amont à faire qui est considérable : en effet, l’entreprise paye un héritage sociétal important. Il s’agit d’un travail et d’une mobilisation qui doivent être fait par toute la société (et de plus en plus tôt !) afin de déconstruire ces stéréotypes de genre et ces représentations binaires, quelles qu’elles soient (physiques ou intellectuelles).
Si on prend la question des écoles d’ingénieurs, il est extrêmement intéressant de voir qu’il n’y a qu’en France que toute l’évaluation scolaire est basée sur les compétences scientifiques et mathématiques. C’est ce rapport de force qui crée des effets d’autocensure pour les jeunes filles en mathématiques. Mais heureusement, c’est de moins en moins vrai !
Cependant, cet ancien modèle est très difficile à casser : une génération ne peut pas changer intégralement le cours des choses par rapport à la génération précédente. Cette évolution voulue est lente et doit être menée par tous les acteurs de l’écosystème, en mettant en scène par la publicité et la culture des images, des personnages permettant de représenter toutes les individualités, dans lesquels ont met des garçons et des filles dans des rôles qui ne sont pas les mêmes, et dans lesquels les enfants se reconnaissent.
Pour conclure, je dirais à nouveau que les compétences intellectuelles et que le cerveau n’ont pas de sexe : n’importe qui peut faire n’importe quel métier, à condition qu’il n’y ait pas de freins qui soient mis en place par soi-même ou par la culture.